TOUT JETER, PUIS GARDER LA POUBELLE.

Depuis quand vivez-vous à Chicago ? Des jours qui deviennent des semaines, puis des mois. Je ne compte pas. J'ai posé le pied sur le sol américain quelques temps avant la rentrée scolaire. Une période d'adaptation nécessaire pour ne pas traîner éternellement l'étiquette du novice isolé. Je voulais avoir quelques bonnes adresses dans la poche et je devais également prendre possession de mes quartiers ; bien qu'il soit certain que je ne m'y attarde jamais trop longtemps. Je ne veux pas être seul avec ses mots. Cela engendrait une énième lecture de ce papier et par conséquent, une immense peine. Je suis de ceux qui fréquente les bars, tard le soir.

Que pensez-vous de la ville et de l'université qui s'y trouve ? Je ne l'aimerais probablement jamais autant que ma belle Irlande. Néanmoins, j'apprécie sa diversité et son attractivité. Certains paysages me manquent, certains visages également, mais j'apprends à l'aimer différemment. Je ne pouvais pas espérer une telle aubaine. Je dois bien avouer qu'à mes débuts d'enseignant, je me sentais intimidé; tant par mon vaste auditoire que par son intérêt et sa discipline. Je me sens tout petit face à l'immensité architectural de l'établissement. Sa bibliothèque est un temple d'apprentissage vaste et méconnu. Je me délecte chaque soir dans la lecture d'ouvrages légendaires. Cette agitation incessante m'occupe et m'empêche de trop tergiverser. J'ai eu l'occasion de fraterniser avec bon nombre d'étudiants, dépassant parfois le respect des conventions entre un professeur et ses élèves.

Et vous, qu'avez-vous fait comme études ? Et où ? Autrefois, j'étudiais la littérature à l'université de Limerick (Irlande). Pour un homme passionné de livres qui se nourrît continuellement de mots et qui rêve de devenir écrivain, cela n'a rien d'étonnant. Je n'imaginais pas qu'en me substituant à l'enseignement, j'en retirerais une aussi grande satisfaction. J'ai volontairement troqué mes rêves d'illustre romancier fantasque contre ce poste d'enseignant passionné et investi.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler à l'université de Chicago, et pourquoi à ce poste ? Lorsque j'ai rédigé cette demande de mutation, je ne pouvais pas imaginer où je poserais le pied. J'ai d'abord pensé à une toute petite université dans le Vermont, puis j'ai rêvé de la culture Tex-mex et de San Antonio et enfin, j'ai imaginé l'élite intellectuelle d'Harvard et le prestige qu'engendre un tel poste dans la plus ancienne université américaine. Rapidement, j'ai été averti que l'université de Chicago proposait une place d'enseignant parmi les plus érudits. Une aubaine qui m'a fait oublier un court instant tout ce que cela impliquait. Chicago est réputé pour sa diversité ; elle englobe un grand nombre de migrants. C'est pourquoi je pense qu'un corps enseignant aussi nuancé peut être bénéfique pour l'établissement. Qu’ils soient ingénieurs, médecins, politiciens, journalistes, techniciens, économistes (etc) ... Les élèves doivent tous quelque chose à un enseignant. Enseigner c’est apprendre à apprendre, aider à devenir. C’est aussi former, informer et transformer. Cela, d'une génération à l'autre. Je me souviens avoir lu quelque part que l'enseignement est le plus beau métier du monde et puis, rester parmi les jeunes contribuent à être up to date. Ce métier est une fontaine de jouvence.