Depuis quand vivez-vous à Chicago ?Depuis tout petit. Ce n'est pas compliqué, j'y suis né et c'est probablement ici que je serai enterré également. Partir dans une autre ville ne m'a jamais vraiment traversé l'esprit mais je dois oublier cette possibilité avec ce qui s'est passé il y a six mois. Avec l'enlèvement de ma fille, je ne peux pas me permettre de partir loin. Et si elle revenait à la maison et que je n'y étais pas?
Que pensez-vous de la ville et de l'université qui s'y trouve ? Étant donné que Chigaco fait partie des 3 plus grandes villes des États-Unis, il faut un peu aimer se faire piler sur les pieds. Personnellement, ça ne me dérange pas. J’adore être entouré d’un tas de personnes et puis tout est à proximité. Pas comme quand on habite dans un trou perdu et qu’il faut faire vingt kilomètres de route pour trouver le magasin le plus proche. Étant né ici, je connais la ville comme ma poche et je m’y sens bien. Pour l’université, c’est pareil, c’est comme ma deuxième maison. Les années que j’ai passées à l’université ont été parmi mes meilleures. Elles m’ont permis de découvrir qui j’étais vraiment et elles ont forgé la personne que je suis rendu aujourd’hui. Parfois je m’ennuie des fêtes qui ne se terminent jamais mais j’ai eu mon tour. Je dois maintenant laisser les étudiants en profiter.
Et vous, qu'avez-vous fait comme études ? Et où ? J’ai fait des études de droit dans l’espoir de devenir avocat tout en faisant partie de l’équipe de football à l’université où je travaille aujourd’hui. Je me demande encore comment j’ai réussi à passer mes cours, avec tous les travaux que j’avais à faire, compte tenu de la gueule de bois qui me tenait compagnie un peu trop souvent pendant ces années là. S’investir dans un sport a sans doute été la meilleure décision que j’ai prise. Cela me permettait de me défouler physiquement et de rester concentrer lorsque j’étais en classe. Et puis il n’y a rien de mieux que de faire partie d’une fratrie. C’est le meilleur moyen de s’impliquer à l’université et aussi de s’intégrer.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler à l'université de Chicago, et pourquoi à ce poste ? Ayant passé de nombreuses années à défendre des criminels, je me suis dit qu’il était peut-être temps de passer à autre chose pour la sécurité de ma famille. Je n’ai jamais vraiment eu peur pour ma sécurité mais je n’ai pas envie que ma femme ou que mes enfants soient victimes de menace à cause de mon travail. Je me suis longtemps demandé ce que je pourrais faire à la place et l’option d’enseigner mon métier m’a semblé la plus logique. J’ai adoré mes années à l’université et je me suis dit que je pouvais participer à rendre cette expérience agréable en y enseignant. Je suis un passionné de droit et j’ai envie de faire vivre cette passion à mes élèves. J’ai longtemps détesté l’école mais c’est grâce à un de mes professeurs que j’ai eu ici que ma vision n’a plus été la même. Je n’en suis peut-être pas encore à ce point mais j’espère un jour être aussi inspirant pour mes élèves que ce professeur l’aura été pour moi.
Vendredi, le meilleur jour de la semaine. Celui où on troque nos livres d’école pour de la musique, des condoms et de la bière à profusion. Comme à tous les weekends, une fête d’enfer était prévue à l’horaire ce soir et ça risquait de durer jusqu’à dimanche matin. J’avais longuement hésité à venir à l’université, n’étant pas certain de ce que j’avais envie de faire pour la majorité de ma vie, mais j’étais bien content de pouvoir profiter de cette liberté sans que mes parents ne soient dans mon dos à toutes les trente secondes. Ou presque.
« Ton père et moi partons pour la fin de semaine. Tu n’as pas oublié que tu venais garder Alyson et Julia, n’est-ce pas? » C’était déjà ce weekend? La bouche entrouverte, je laissai tomber ma tête vers l’arrière lorsque je me rappelai que je devais aller garder ma petite soeur ainsi que sa meilleure amie.
« Comment j’aurais pu oublier ça? » Qui ne mourrait pas d’envie d’aller garder sa soeur, de dix ans plus jeune, et sa meilleure amie pour vingt-quatre heures? Les regarder jouer aux barbies - ça joue encore aux barbies à 9 ans? - et parler du beau garçon de leur classe qui fréquente deux filles étant donné qu’il ne peut pas se décider. C’est ironique à quel point tout est permis à cet âge. Bref, j’allais devoir annuler le rendez-vous que j’avais pris demain matin avec ma gueule bois.
« Je suis en train de préparer mes choses et j’arrive, d’accord? » « Merci mon grand! Je t’aime. » Je raccrochai le combiné sans répondre à ses mots doux. À dix-neuf ans, j’étais un peu orgueilleux et j’avais un peu de mal à démontrer mon affection à ma famille.
« Je ne pourrai pas venir ce soir, je dois aller garder ma soeur et son amie. » Mark soupira bruyamment son mécontentement.
« C’quoi l’idée de décider d’avoir un enfant dix ans après, tu peux me dire? » Si seulement je savais. Faut croire que ma mère avait du mal à accepter qu’elle vieillissait et elle avait donc décidé d’élever un autre enfant pour se garder jeune. Qui sait?
« On se reprend le weekend prochain? » dis-je en lui donnant une tape dans le dos tout en prenant mon sac à dos pour y fourrer des vêtements et tout ce qu’il me fallait pour survivre aux vingt-quatre prochaines heures.
« C’bon. J’y vais moi. On s’voit dimanche. » Je lui fis signe de la tête que oui et je quittai notre chambre pour prendre la route vers le stationnement où ma caisse était garée histoire que je puisse me rendre à la maison de mes parents pour qu’ils puissent se rendre à leur weekend en amoureux. Au moment où je lançais mon sac à dos sur la banquette arrière, je sentis une main glisser dans mon dos.
« Mark m’a dit que tu ne serais pas des nôtres ce soir. » Je reconnu tout de suite la voix de Kathryn. Je me retournai vers elle tout en grimaçant, déçu.
« J’avais oublié que j’avais promis à mes parents de garder ma soeur. C’est leur anniversaire de mariage. J’aurais vraiment aimé ça être là par contre. » Surtout si Kathryn allait être présente. Ça faisait un petit bout que j’essayais de me rapprocher d’elle, que je l’avais dans l’oeil.
« Ta soeur se couche tard? » Je m’accotai contre ma voiture et je croisai mes bras contre mon torse, coinçant mes mains sous mes aisselles.
« Non, pourquoi? » dis-je soudainement intéressé.
« Je pourrais venir faire un tour. Enfin, si tu veux. » Je regardai autour de moi, réfléchissant à sa proposition. Mais il ne me fallu que quelques secondes pour que ma décision soit prise.
« Ok. » Elle sortit un stylo de sa poche pour que j’écrive l’adresse de mes parents sur sa main. Une fois fait, elle se pencha dans ma direction pour m’embrasser sur la joue, juste à côté de mes lèvres.
« À tantôt. » Je restai un instant à la regarder s’en aller, soudainement impatient d’arriver chez mes parents. Finalement, garder Alyson et Julia n’allait peut-être pas être si ennuyant que ça.
{ ... }
J’ai fait le tour du quartier au moins dix fois avec Titan, mais rien. Aucune trace de Melissa. Je suis en train de virer fou au point où je commence à avoir du mal à réfléchir clairement.
« MELISSAAAAAAA?! » J’ai été voir au parc à quelques pas de la maison, chez ses copines qui habitent autour, mais rien.
« Qu’est-ce qui se passe David? » me demanda notre voisin, inquiet.
« Je ne trouve plus Melissa... » Alarmé par le manque à l’appel de ma fille de cinq ans, il rentra dans sa maison pour aller chercher sa femme pour venir nous prêter main forte. Au loin, je vis Matilda, ma fille de 13 ans, revenir toute seule.
« Et puis? » Elle secoua la tête négativement. Cela faisait au moins trente minutes que nous la cherchions aux alentours et il n’y avait aucune trace d’elle. je finis par me résoudre à appeler les policiers en panique.
« C’est pour signaler une disparition. » En attendant les policiers, je décidai d’appeler Julia pour l’aviser que notre fille était manquante. Il n’était pas question qu’elle l’apprenne à la télévision.
« Ju? On ne trouve plus Melissa ... » dis-je en reniflant, sur le bord des larmes. Je voulais me montrer fort pour la soutenir mais je n’y arrivais tout simplement pas. En ce moment, je ne savais plus où donner de la tête. J’avais fait le tour au moins quinze fois des endroits où elle aimait jouer lorsque nous sortions avec elle, mais rien. Comme quand on cherche quelque chose à la maison et qu’on regarde dix fois au même endroit parce qu’on est certain de l’avoir rangé là.
« Monsieur Kelly? On a trouvé quelque chose. » Je suivis le policier presque en courant lorsqu’il me guida jusqu’à deux de ses collègues qui étaient accroupis près d’un buisson en train de photographier quelque chose. En m’approchant, je reconnu tout de suite l’objet qui se trouvait au sol : le soulier de Melissa. Tout devint soudainement écho autour de moi. Les voix me semblaient lointaines et tout me semblait irréel. Est-ce que quelqu’un pouvait me réveiller? Malheureusement pour moi, je me pinçai en espérant que tout ceci n’était qu’un cauchemar. Sauf que la douleur, je la ressentis pour vrai. Melissa était réellement disparu, les prochaines heures étaient cruciales.
{ ... }
Depuis la disparition de Melissa, en avril dernier, ma vie s’était arrêtée. J’avais pris un congé maladie au boulot, n’ayant pas la tête à enseigner, et mon mariage était en train de s’effondrer. Julia n’arrêtait pas de dire que c’était de ma faute si Melissa était disparue, qu’elle ne pouvait pas me faire confiance. Depuis, je ne faisais jamais rien à son goût. Que ce soit pour le ménage ou peu importe quoi, elle trouvait toujours le moyen de me reprocher quelque chose. L’ambiance était devenue lourde et le seul temps où on se retrouvait à proximité l’un de l’autre, c’était lorsque nous allions dormir. Et laissez-moi vous dire qu’on ne dormait plus en cuillère. Cela fait déjà quatre mois que notre fille est disparue et les policiers ne nous en disent pas beaucoup. Apparemment ils ont un suspect mais ils manquent de preuve. J’ai tenté d’en savoir plus, histoire de faire ma propre justice, mais ils gardent toute l’information pour eux. Après tout, ils savent bien trop comment toute cette histoire va finir si le nom du suspect vient à mes oreilles. Ce sera lui ou moi.
« Dave, il faut qu’on parle. » J’accotai mes mains sur le rebord du lavabo et je pris une grande inspiration avant de finalement ouvrir la porte pour affronter Julia.
« Qu’est-ce qu’il a? Le dîner n’est pas assez cuit? J’ai oublié une chaussette à côté du lit? » Il y avait toujours quelque chose, j’en avais marre.
« Je vais chez mes parents. » dit-elle simplement en croisant ses bras contre sa poitrine dans un geste de protection. Je redressai mon dos tout en analysant la situation. Mon regard baissa jusqu’au sol où j’aperçu plusieurs valises.
« Tu t’en vas. » Ce n’était même pas une question mais plutôt une constatation. Honnêtement, ça m’étonnait même que ça ne soit pas arrivé avant. Tout ça n’était qu’une question de temps, c’était écrit dans le ciel.
« Je viendrai te porter les papiers quand je les aurai. » dit-elle en retirant sa bague de mariage et en me la tendant, le regard baissé. Je pouvais voir que ses yeux étaient inondés mais quelque chose me disait que ce n’était pas à moi de la consoler. Quoique je fasse, ce ne serait pas suffisant. Je ne réussirai jamais à dire quelque chose pour la retenir. Je tendis simplement la main pour qu’elle puisse déposer sa bague dedans.
« Je suis désolé. » De quoi? De trop de choses pouvoir clairement le dire. Julia releva légèrement les yeux pour me regarder une dernière fois puis elle quitta notre maison valise en mains. Au moins avec les cours qui recommençaient bientôt, j’allais pouvoir m’occuper l’esprit. Parce que d’être tout le temps à la maison en vivant la disparition de Melissa en plus d’une séparation, ça aurait fini par me tuer.