Lorsque le couple se sépara officiellement, leur famille n’était plus que les cendres qu’avait provoqué le ravage de l’infidélité de l’ex madame Graham. La famille, Grey en connaissait le terme, mais pas la valeur. Les deux fils officieusement-Graham quittèrent tout naturellement le domicile avec leur mère, laissant le petit recueilli à l’homme quasi-achevé. Grey avait treize ans lorsqu’il se retrouva seul avec son 'père', qui trouva mieux à faire que de s’occuper seul d’un gamin qui n’était même pas le sien. S’il l’avait pris sous son toit, c’était pour l’élever ensemble avec sa femme. Il avait été accueilli par cette famille à l’âge de douze ans après avoir été baladé cinq fois auparavant dans d'autres familles d'accueil, et rejeté comme un produit qui ne plaisait pas après avoir été testé. Les familles unies, soudées, il n'avait pas connu. Mais le jeune Sheffield ne lui en voulait pas, il comprenait et il pouvait tout à fait s’occuper de lui-même tout seul tandis que Monsieur Graham rentrait de plus en plus tard, plongeant dans du business plus que douteux. Jusqu’au jour où tout se termina mal pour lui. La police remonta jusqu’à lui et le réseau de mafieux qui rodait autour, et les services sociaux ne tardèrent pas à se rendre compte de la négligence de monsieur Graham envers Grey. Aussi lorsqu’ils vinrent chercher le jeune homme, celui-ci en profita pour s’enfuir par la fenêtre de sa chambre, emportant tout ce qu’il pouvait dans un simple sac à dos, alors qu’on l’attendait sagement en bas des escaliers qu’il finisse de plier bagages.
A peine quatorze ans et déjà sans domicile fixe, sans famille fixe non plus ! Pas d’amis, personne ! Que de simples connaissances. Pourtant il n’était pas du genre associable le jeune homme au contraire. Il ne comprenait pas ce qui pouvait bien clocher même si son caractère à la limite de l’insolence quand on avait l’audace de le prendre un peu trop de haut, ou tout simplement son arrogance naturelle qui pouvait en agacer plus d’un, il pouvait parfois être quelqu’un de cool… Enfin, il avait réussi à être assez cool pour qu’on le laisse monter dans des voitures en autostop, l’héberge ne serait-ce que pour une nuit, … Il a mené une vraie vie à la Pékin Express, en passant de famille en famille pour ne pas changer, jusqu’à ce que Ian Kristensen tombe par hasard sur lui. Juste à temps pour l'empêcher d'aller trop loin dans des affaires qu'il risquait grandement de regretter plus tard. Faut dire qu'il lui devait tout à cet homme. Absolument tout. Il avait fait bien plus que l'aider depuis le jour où il l'avait trouvé.
***
« Mais c’est serré ce truc ! » « Arrête un peu de tripoter ce col veux-tu ? » Elle lui retira vivement les mains de sa cravate avant de repartir, une toute autre expression angélique sur son visage, rejoindre les invités dans le salon. Ce qu’elle est douée sa soeur quand même Cette soirée était ennuyeuse à mourir, et pourtant elle continuait de feindre à merveille un enthousiasme avec une habileté déconcertante, une vraie comédienne.
« Et ne t’avises même pas de prendre ton portable pendant la soirée, tu m’as entendue ? » Entendue oui, écoutée pas vraiment. Comment elle arrivait faire ça ? Non mais je vous jure ! Grey avait vite baissé les bras et s’était rendu à l’évidence qu'il n'éviterait pas toute cette mascarade. Le costard à ne pas froissé, la chemise boutonnée jusqu'au cou, la cravate, les manières trop chic, … Ce n'était pas pour lui. Encore heureux qu'il y ait les serveurs et les coupes de champagnes qui se promenaient par là. L'occasion rêvée pour son désormais père de mettre sous la lumière des projecteurs ses enfants. Malheureusement pour le patriarche des Kristensen, Grey n’était pas encore prêt pour tout ça.
« Allez, c'est pas si terrible que ça... » Le jeune homme tourna la tête. Finn était là lui aussi. Grey ne dit pas un mot. Leur relation était... comment dire... tendue. Il était très solitaire, secret, calme. Grey lui, c'était le contraire. Une véritable pile électrique. Pas étonnant que ça n'avait pas coller au départ entre eux.
« C'est ce que tu dis ! Sérieusement, c'est pas mon truc ces fêtes, réunions ou tout ce que vous voulez... J'ai pas ma place ici. » finit-il par dire, exaspéré. Finalement, il avait peut être fait le mauvais choix.
« T'es un Kristensen, tu as toute ta place ici. » Tandis que le cadet s'en allait rejoindre les convives dans le grand salon, Grey restait bouche bée un moment. Autant dire que c'était la première fois qu'il avait droit à un mot particulièrement gentil et bienveillant de sa part, depuis qu'il avait pris le nom de Kristensen il y a quelques mois de ça. Ça n'avait jamais été très facile d'intégrer une famille telle que les Kristensen, de se faire à l'idée d'avoir des frère et sœur.
Cela fait maintenant presque huit ans qu'il porte le nom de sa nouvelle famille, et il doit avouer que c'est la meilleure chose qui lui soit arrivée.